La femme rwandaise, instrument politique ou femme engagée?

Par Astérie Mukarwebeya

C’est un plaisir pour moi de pouvoir vous entretenir de la place qu’a occupée et qu’occupe encore la femme rwandaise dans sa société : Est-elle un instrument politique ou une femme engagée ?

Dans ses objectifs, le Réseau international des femmes pour la démocratie et la paix souligne le rôle important que peut jouer une femme face aux conflits armés qui hypothèquent la vie des femmes et des enfants. Le Réseau s’efforce d’informer et de sensibiliser le public sur toute forme de violation en matière de démocratie et de paix en Afrique et principalement dans la région des Grands Lacs Africains.

La mère donne la vie, la guerre ôte la vie. Nos actions sont orientées principalement vers l’éducation de la femme afin que celle-ci puisse prendre conscience de l’importance de son engagement dans la lutte pour la démocratie et la paix et dans la lutte contre toute forme de discrimination.

La femme rwandaise a toujours été présente dans la politique. Tantôt comme instrument, tantôt actrice, parfois les deux à la fois.

Comment qualifier le rôle de Bwiza bwa Mashira, cette princesse dont le père se servait de ses noces pour introduire son armée à la cour de son adversaire ?

Vous avez tous écouté maintes fois l’inanga contant la rivalité entre le roi Rwabugiri et son chef d’armes Rwanyonga. Une fois que le roi avait perdu ses paris et que la supériorité de Rwanyonga était établie, il lui offrit la plus belle de ses filles pour l’épouser. Le roi profita de la nuit de noces pour attaquer Rwanyonga et le tuer. Avant de mourir, ce dernier tua la princesse.

Le cas de la sœur de Ruganzu Bwimba qui accepta d’épouser Kimenyi, le Roi du Gisaka afin de préparer l’attaque de son frère et annexer le Gisaka. L’histoire se termine par la mort de Ruganzu, suivi du suicide de sa sœur à l’annonce de la mort de son frère.

L’instrumentalisation politique de la femme ne date pas d’aujourd’hui. Son engagement non plus. Même si son rôle a été souvent discret par rapport à celui de l’homme, elle a toujours été présente.

Exemples :

Le pouvoir de la reine-mère qui avait sa propre armée. Gare à celui qui avait des problèmes avec la clique de la reine-mère. Le roi pouvait tout au plus le consoler en lui offre un troupeau de vaches, ou autre cadeau. Mais il ne pouvait pas s’attaquer à l’armée de sa mère;
Rappelons-nous que le premier coup d’état au Rwanda, celui de Rucunshu a été organisé par une femme, Kanjogera. Son fils, le roi Yuhi Musinga, avait moins de pouvoir que sa mère et ses oncles;
La 1ère femme à occuper le poste de ministre fut Madeleine Ayinkamiye, ministre des affaires sociales et de la santé publique de 1964 à 1965: à peine une année;
La 2ème république aura quelques femmes ministres, quelques femmes officiers de l’armée et de la gendarmerie. De plus en plus de femmes font des études supérieures, occupent des postes de plus en plus importants sur le plan décisionnel. Elles sont dans les ministères, les préfectures, la direction d’établissements scolaires (à ne pas négliger);
Le 1er octobre 1990 quand le FPR attaque le Rwanda, il y avait des femmes des deux côtés de belligérants. Elles étaient présentes dans le gouvernement de Habyarimana et les militaires des deux armées. Elles étaient présentes aussi au sein des partis politiques et des négociations du moment;
Le cas d’Agatha Uwilingiyimana restera marqué dans notre histoire pour avoir été la Première Ministre, assassinée dans l’exercice de ses fonctions, aux premières heures d’un Rwanda basculant vers un génocide et le chaos qui ont suivi.

Agatha Uwilingiyimana. Je l’ai eue comme professeur à l’école sociale de Karubanda. A l’époque, c’est Félicula Nyiramutarambirwa qui assumait haut la main la direction de cette école. Elles étaient ce que l’on appelle les femmes de tête. Je suis certaine que des centaines de jeunes filles passées dans les mains de ce duo, sont à l’heure actuelle, encore positivement marquées par l’engagement de ces femmes.

Depuis 1994, le Rwanda a misé sur la croissance économique (8,4% en 2010) et la représentativité des femmes.

C’est surtout les 56% de femmes parlementaires qui suscitent le respect du monde entier. Le Rwanda a fait mieux que la Suède !

La Constitution du Rwanda promulguée en 2003 interdit toute discrimination basée sur le genre et garantit que 30% des postes dans les organes de prise de décision seront désormais occupés par des femmes.

Le programme Rwanda vision 2020 fait aussi la part belle à la femme.

Au niveau international, le Rwanda fait partie des meilleurs élèves des Objectifs du Millénaire pour le Développement (les OMD). Toujours sur le sujet ‘Femmes’.

Le Rwanda ne s’est pas réveillé plus féministe que le MLF (Mouvement de Libération de la Femme) français. Simplement, nous sommes en plein instrumentalisation de la femme. Une opération de séduction visant les bailleurs de fonds.

Pour rappel, en 2000 les 189 états membres des Nations Unies signaient la Déclaration du millénaire. Par ce texte, ils s’engageaient à atteindre certaines cibles de développement. Cibles désignées par la suite sous le nom d’Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD).

Les 8 objectifs sont :

  • réduire l’extrême pauvreté,
  • assurer l’éducation primaire pour tous,
  • promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes,
  • réduire la mortalité infantile,
  • combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d’autres maladies,
  • assurer l’environnement durable,
  • mettre en place un partenariat mondial pour le développement.

Parmi ces objectifs, le Rwanda va miser sur la femme.

Sur le site des objectifs du millénaire, www.un.org/fr/millenniumgoals, on trouve des évaluations régulières des progrès réalisés pays par pays.

Dans l’article : Aperçu des progrès accomplis dans certains pays (nous présentons ici une sélection à titre d’illustration et non un rapport final), on retrouve le Rwanda bien entendu :

OBJECTIF 3 : En 2008, le Rwanda a élu une majorité (56%) de femmes à la chambre basse du Parlement, soit le taux de représentantes féminines le plus élevé au monde;
OBJECTIF 4 : le Rwanda a toutes les chances d’atteindre, voire dépasser, les cibles que se sont fixées les OMD dans le domaine de la mortalité infantile et maternelle d’ici 2015, en partie grâce au succès du programme d’assurance-maladie du gouvernement.
OBJECTIF 5 : Au Malawi et au Rwanda la suppression des frais de services de planning familial a contribué à faciliter grandement le recours à ces services. – Au Rwanda, la prévalence des contraceptifs chez les femmes mariées de 15 à 49 ans a grimpé de 9% en 2005 à 26% en 2008. – Au Rwanda, le taux d’assistance qualifiée lors de l’accouchement a augmenté de 39% à 52% entre 2005 et 2008.

LES 56% DES FEMMES AU PARLEMENT

Au-delà de cette poudre jetée aux yeux des bailleurs de fonds, qu’en est-il de la situation de la femme dans le Rwanda quotidien ?

Au fond, qui sont ces 56% de femmes du parlement ? Quelle est la composition politique de ce parlement ?

Delà, en quoi peuvent-elles aider concrètement, les autres femmes.

Il sied de se poser les questions suivantes afin de mieux appréhender cette problématique :

Quelle position ont-elles adoptée devant l’emprisonnement des femmes politiques et journalistes qui n’ont commis d’autre crime que d’exercer leur liberté d’expression ?
Que disent-elles des frais scolaires qui n’arrêtent pas d’augmenter et qui font que les enfants pauvres qui ne peuvent plus étudier, ruinant ainsi les efforts des mères dans l’éducation de leurs enfants ?
Quelle est leur position quant aux salaires de petits fonctionnaires, dont pas mal de femmes enseignantes, infirmières, etc. face au coût de la vie ?
Quid des femmes qui vivent du travail informel : domestiques, cultivatrices, marchandes, couturières etc.
Il est normal que les orphelins et les veuves du génocide soient aidés, même si là aussi, le détournement de fonds a été plusieurs fois dénoncé, Quid des enfants et des veuves revenus du Congo ou les enfants et les veuves des victimes du FPR au Rwanda de 1990 à nos jours ?
Les femmes des prisonniers ?
Et les prisonnières ? les enfants prisonniers ?

Dans un pays où l’opposition politique croupit sous les verrous, que représentent les 56% des femmes du parlement ? La présence marquée des femmes au parlement suffit-elle à rendre le pays plus démocratique et à affirmer la place de la femme dans la société ?

Quelle est leur valeur ajoutée à l’amélioration de la condition de la femme au Rwanda ?

Si nous confrontons les points de vue de M. CHASTEL et de Madame Diane GASHUMBA, présidente du conseil national des femmes, le premier dit : Concernant le Rwanda : ‘En Belgique nous conditionnons notre aide… c’est plutôt au niveau de la vie politique et de la liberté de la presse qu’il y a des problèmes. Notre aide doit aider à résoudre ces lacunes démocratiques’.

Madame Gashumba, lors des élections des maires des districts : ‘Il y a peu de femmes maires de district. Au cours du mandat qui s’achève les femmes représentaient 42% des élus, mais seulement 6% des maires’.

Et la représentante de Profemmes : ‘Toutefois, certains estiment que les élues du précédent mandat n’ont pas toutes été à la hauteur des responsabilités qui leur avaient été confiées. Le manque d’expérience en politique, l’incompétence de certaines, le manque de soutien de leurs conjoints seraient les principales causes de leurs échec’.

Au moment où le parlement européen débat d’un projet de loi visant à étendre le congé de maternité, au Rwanda la loi du travail du 27 mai 2009, section 3, parle des congés de maternité. Revenons sur l’art 66 intitulé : rémunération pendant le congé de maternité : lorsqu’une femme accouche sans qu’elle soit affiliée à l’assurance maternité, elle a droit à la totalité de son salaire pendant la période des six premières semaines de son congé de maternité.

Pour les six dernières semaines, la femme peut reprendre son travail et bénéficier de son salaire intégral, dans le cas contraire, elle a droit à 20% de son salaire.

Le véritable pouvoir réside non pas dans le parlement où les femmes sont majoritaires, mais dans l’armée où elles sont absentes.

Les femmes ont compris qu’elles paient le prix fort des dérapages politiques. Elles ont dû revoir leur rôle au sein de la société et s’attaquer aux métiers dits d’hommes, pour reconstruire leur vie familiale et de là, le pays.

Au sein du FPR, le parti dirigeant le Rwanda, il y a des femmes, dont les 56% qui partagent la même vision du pays que le Président de leur parti. Elles sont engagées ! C’est leur droit.

Dans l’opposition, il y a aussi des femmes engagées. La plus connue étant Victoire Ingabire qui croupit en prison pour avoir osé défier Kagame.

Vous avez suivi le procès des deux journalistes qui ont commis le crime d’exercer leur travail d’informer la population.

D’autres femmes subissent le même sort. Elles sont moins connues peut-être mais elles sont là.

Il ne faut pas oublier le sort des femmes des prisonniers. Tous ces prisonniers politiques ont des femmes et des enfants. Comment vivent leurs épouses ? Comment font-elles pour assurer la survie de leur mari au sein de ces mouroirs que sont les prisons rwandaises ? Qui ose encore les fréquenter socialement ? Comment aident-elles les enfants à se projeter dans l’avenir ? Et elles, qui les aide ?…

Elles sont engagées dans le dur combat de la vie et de la survie sociale de leurs enfants. Je salue leur courage.

Les femmes rwandaises vivant en dehors du pays. Certaines sont engagées dans l’associatif, d’autres dans la politique, parfois les deux à la fois. Un pied dans le pays d’adoption, l’autre dans celui d’origine, elles jouent les équilibristes !

Comme les hommes vivant en dehors du Rwanda, elles participent en envoyant les frais scolaires, les frais médicaux ou de soutien pour les petits projets.

Et si les enfants peuvent se projeter dans l’avenir, les femmes s’en porteront mieux.

Il faut encourager l’engagement réel des femmes dans la politique. Il faudrait prendre le Président au mot, l’obliger à respecter, un tant soit peu, son engagement envers les femmes, et non pas continuer à s’en servir comme crédit de son pouvoir.

Je voudrais terminer par quelques extraits d’un document de position de la CISDE et Caritas International déjà en 2005, à propos de ces OMD, car je pense que le Rwanda est dans cette dynamique d’instrumentaliser les OMD :

… Nous craignons que d’autres agendas ne figurent pas explicitement dans les OMD – les normes et préceptes de droits humains, par exemple – ne soient sacrifiés sur l’autel d’une réalisation rapide et efficace des OMD.

… Les OMD n’opèrent aucune distinction entre de bonnes et mauvaises pratiques : en termes d’objectifs, il n’y a pas de différence entre un régime totalitaire qui « réduit la pauvreté de moitié » en fonction de clivage ethnique et un état qui veille à ce que les pauvres participent activement à ses processus budgétaires.

… On peut fort bien imaginer que les processus de privatisation et de libéralisation qui ont hypothéqué les chances de réduire la pauvreté dans de nombreux pays pauvres au cours de ces dernières années s’accélèrent au nom des OMD.

Cela ressemble bien à ce qui se passe au Rwanda. Nous avons le devoir de le prouver, de le combattre et de le dénoncer, nous qui vivons dans les pays bailleurs de fonds.